Des blogs des blogs
Lors de l’arrêt de son blog sur le site du Nouvel Observateur, après le résultat des élections présidentielles, Michel Onfray a annoncé qu’il allait utiliser le « matériau » fourni par ses textes et les réactions des internautes pour en faire un livre.
S’il accomplissait vraiment ce travail, il serait ainsi le premier à faire passer le « blog » dans la « vraie » littérature, celle des écrits imprimés sur du « vrai » papier.
Cependant, cet exercice me paraît assez hasardeux, et plusieurs freins risquent de ralentir le train du progrès.
Tout d’abord, la question triviale des droits d’auteurs : si les textes mis en ligne par Michel Onfray lui appartiennent en propre, il n’en va pas de même pour ceux qui ont été laissés sur le blog par des centaines d’argonautes du web. A aucun moment, il n’est indiqué que les commentaires laissés sous le texte sont « donnés » à l’éditeur ou à Michel Onfray. Une utilisation de ces commentaires dans un ouvrage pose la question de la propriété intellectuelle desdits commentaire. Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais je pense qu’il s’agit d’un petit régal pour avocats…une vraie gourmandise post moderne. Il est impossible de remonter aux noms réels des personnes physiques, qui « acceptent » une certaine règle du jeu (le blog) mais risquent de changer d’avis en cas de publication papier..$
Une des façons de « contourner » le problème est de synthétiser les centaines de commentaires afin d’en extraire la substantifique moelle, de rendre au lecteur « l’impression générale », les « grandes tendances » de ces commentaires.
A partir de ce moment, il est clair que ce qui fait la « richesse » du genre « blog » est perdu.
Car le blog, en tant que genre littéraire, est défini :
- par l’alliance d’une proposition (texte, image, son..) et de réponses à cette proposition, réponses le plus souvent écrites,
- par la possibilité de contre propositions ou de sous propositions faites par l’auteur, en réaction à ces réponses,
- par l’existence d’artéfacts, sous la forme de digressions horizontales entre les commentateurs, parfois sans aucun rapport avec la proposition princeps,
- par le rapport particulier entre un support inaltérable (le « web ») et une capacité d’altération instantanée de ce support. Les traces y sont longues à s’effacer, mais très facile à laisser.
Ainsi le blog est un lieu, un espace, contrairement au livre. Vouloir reproduire cet espace par une modélisation littéraire est une entreprise ardue. Comment, sans reproduire intégralement les échanges, rendre compte de la manière la plus exacte et nuancée de la « couleur » des réactions, comment «ré-écrire » ce lieu ? Comme l’artiste face au paysage, l’écrivain aura du mal à entraîner le lecteur au-delà de l’impression. La matière du blog est faite d’écrit et de temps, elle est psychologie autant que littérature.
Parallèlement à cette interrogation sur la possibilité de « re-produire » un blog hors de son contexte temporel, certains se demandent si tout sujet est « bloggable ». Ces questions sont liées il me semble.
Je continuerai cette interrogation doublement réflexive dans un prochain texte, si les petits cochons ne me mangent pas.